L'Académie du château

 - entretien avec Monsieur Jean Baptiste Joly

 

Jean Baptiste Joly est un français qui a pu, a su et a réussi a créer une "académie" en Allemagne. Comment? Vous la verrez dans le dialogue qui suive . L'Académie s'appelle Solitude. Peut être parce que la Solitude est une Académie elle-même - ou la Solitude est la condition sinegvanon pour l'Académie. Chaque Académie et, aussi, chaque travail littéraire, se fait en usant de notre propre solitude. En la consumant.

 

1. Comment l’Académie a-t-elle été créé? Quelle est l'histoire de L'Academie Solitude(AS)?

 

L’Académie a été inaugurée en 1990, elle occupe deux des principaux bâtiments du château Solitude qui a été restauré entre 1987 et 1990. L’Académie a été créée comme un centre international de recherche et d’exellence pour de jeunes artistes, elle est aussi l’un des instruments de la politique culturelle internationale du Land de Bade-Wurtemberg.

 

2. Pour quoi "Academie"? Il y a une certaine similitude/interference avec le systeme academique?

 

Nous ne délivrons pas de diplômes et nous adressons à de jeunes artistes de 25 à 35, voire 40 ans. Nous n’acceptons pas d’étudiants. Dans ce sens nous ne sommes donc pas en rapport avec le système universitaire. Il faut comprendre le mot Académie au sens initial du terme: dans la Grèce ancienne Akademos était le nom du bosquet où Platon s’entretenait avec ses disciples, une conversation libre et ouverte. L’académie des temps modernes est une invention de la Renaissance italienne, un espace semi-public dans lequel la pensée et l’innovation peuvent s’échanger entre savants ou artistes et ainsi se développer.

 

3. Quels sont les objectifs de L'Académie?

 

L’Académie Schloss Solitude accueille chaque année dans ses 45 studios environ 50 jeunes artistes de toutes disciplines (musique, arts visuels, architecture, vidéo, nouveaux médias, théâtre, design) et de tous les pays du monde. Elle leur offre les moyens de se consacrer uniquement à leur travail artistique, un environnement intellectuel et matériel favorable. Depuis 2002 l’Académie accueille aussi dans les mêmes conditions de jeunes scientifiques et de jeunes cadres du monde des affaires. L’objectif de l’Académie est de créer un réseau mondial constitué des meilleurs éléments de la jeune scène artistique et d’assurer ainsi que le Land de Bade-Wurtemberg maintiendra ainsi le contact avec la création contemporaine.

 

 

4. Pourquoi "Solitude"?

 

Solitude est le nom donné par le Duc Charles Eugène de Wurtemberg au château qu’il a fait construire à cet endroit entre 1763 et 1770, une „folie“ dans le comparable au Trianon de Versailles, de style roccoco tardif. Au 18ème siècle le retour à la solitude et à la nature est considéré comme le chemin nécessaire pour retrouver son statut d’être humain, comme décrit par Jean-Jacques Rousseau, dont Charles Eugène était un grand lecteur.

 

5. Vous organisez en ce moment un projet à Cluj, avec la revue IDEA. De quoi s’agit-il?

 

Il s’agit d’un projet d’échange initiié par trois partenaires allemands, l’akademie Schloss Solitude, la Künstlerhaus Bethanien qui est aussi une résidence d’artistes et la Fondation Allianz pour la culture. Nous avons choisi quatre revues d’art contemporain à Cluj, Prague, Istambul et Vilnius et organisons avec eux un projet impliquant de jeunes artistes européens dans notre galerie à Berlin (Galerie K & S) et un second projet dans chacune des quatre villes. A Cluj nous organisons avec IDEA une exposition, une publication et un symposium.

 

6. J'ai entendu que Mihai Mihalcea s'occupe d'un nouveau projet commun, avec le Teatre Bulandra de Bucharest. Le spectacle s'intitule "Stars High in Amnesia's Sky". Que pourriez vous me dire sur ça?

 

Rien car j’ignore tout de ce projet.

 

7. Est ce que Académie Solitude s'implique particulièrement dans les projets de théâtre?

 

Oui, nous réalisons aussi de nombreux projets de théâtre avec les jeunes metteurs en scène que nous accueillons. Mais l’Académie, même si elle dispose d’une belle salle et d’équipement technique, n’est pas un théâtre à proprement parler, donc nous essayons le plus souvent de coopérer avec des théâtres partenaires, à Stuttgart ou à Berlin. En ce moment nous préparons un spectacle mis en scène par Roland Brus, un jeune metteur en scène berlinois, consacré à la notion d’erreur et à ses conséquences dans une société moderne.

 

8. Quels sont les nouveaux projets que prépare l’ Académie Solitude?

 

Nous préparons de très nombreux projets avec nos pensionnaires dans tous les domaines, musique, science, arts visuels, mais je pense d’abord à un gros projet dans le domaine du théâtre musical, deux soirées qui seront produites avec les Neue Vocalsolisten de Stuttgart et auxquels participent des metteurs en scènes et compositeurs qui ont tous été pensionnaires chez nous. Parmi eux il y a trois argentins, un bulgare, deux autrichiens, un italien etc... Ces spectacles seront montrés début avril 2004 à l’opéra de Lille dans le cadre de „Lille, capitale européenne de la culture“.

 

9. Qui sont les roumains soutenus, jusqu'a maintenant, par A.S.?

 

Nous avons accueilli, il y a quelques années, le groupe Subreal, composé de Iosif Kiraly et de Calin Dan, dont le travail réalisé à Solitude a été présenté comme contribution officielle roumaine dans le pavillon roumain de la Biennale de Venise en 1999. Nous avons également accueilli de nombreux écrivains, Daniel Vighi, Nora Iuga, T.O. Bobe et aussi Rodica Draghincescu. Nous avons eu beaucoup de chance dans nos choix, car ce sont tous des écrivains remarquables et aussi des personnalités très attachantes, hors du commun.

 

10. Parmi eux, se trouve Rodica Draghincescu. Comment la considérez vous - comme écrivaine?

 

C’est certainement, comme les autres écrivains roumains que j’ai mentionnés, une très forte personnalité littéraire. Nous avons publié il y a deux ans un livre d’elle en traduction allemande qui a eu beaucoup de succès dans la scène de la poésie contemporaine. Je suis sa carrière et ses publications avec attention et suis heureux de son succès. Saviez-vous que Rodica Draghincescu écrit également de remarquables textes en français?

 

11. Quelles sont les publications parues par l'aide de L'Académie?

 

Nous avons notre propre maison d’édition et publions chaque année trois ou quatre titres dans notre collection littéraire et une dizaine de titres consacrés aux projets des artistes, catalogues, cds, vidéo etc... Chaque année nous participons à la foire de Francfort avec notre propre stand. Depuis l’ouverture de l’académie nous avons publié plus de 200 titres.

 

12. Comment êtes-vous financé?

 

L’Académie est une fondation de droit public financé pour deux tiers par une part des revenus de la loterie de Bade-Wurtemberg. Dans ce land, les revenus de la loterie sont exclusivement consacrés à la culture et au sport. Pour le troisième de notre financement, il s’agit de projets financés par des fondations publiques, par exemple pour notre projet qui implique des scientifiques et des cadres d’entreprise, ou des fondations privées, comme pour notre projet d’échange avec IDEA à Cluj.

 

13. Le premier projet qui vienne, en ordre chronologique, este celui de Nora Iuga & Ernest Wichner. Il s'agit de quoi?

 

Nous avons publié en septembre dans notre collection littéraire en traduction allemande „L’autobus avec le bossu“. La traduction est due à Ernest Wichner, dont Nora Iuga traduit par ailleurs les textes allemands en roumain. Nous avons organisé avec eux une lecture croisée, chacun étant le traducteur de l’autre, à la bibliothèque municipale de Stuttgart.

 

13. Quelles manifestation organisez-vous dans le domaine des arts visuels pour soutenir les artistes? Comment les choisissez-vous?

 

Tous les artistes, de quelque discipline qu’ils viennent sont choisis par un juré responsable seul (pour une sélection) des décisions prises. L’an passé, c’est par exemple Herta Müller qui a choisi les écrivains, d’où une forte présence roumaine parmi les écrivainsde la génération 2002-03. Cette année c’est un jeune philosophe italien qui habite Paris, d’où beaucoup de francophones et de philosophes parmi les sélectionnés. Pour ce qui est des arts visuels, nous organisons des expositions dans nos salles, c’est un domaine pour lequel on trouve facilement un public. Mais ce que les artistes cherchent avant tout à Solitude, c’est la possibilité de coopérer avec d’autres: Par exemple, durant son séjour ici, Daniel Vighi a coopéré avec une graphiste et artiste française, ils ont fait ensemble un très joli petit livre bilingue roumain-allemand. Il a aussi travaillé avec une artiste polonaise qui a réalisé pour lui une installation vidéo pour une lecture.

 

14. Combien des états européens l’Académie peut-elle "couvrir" par les événements organisés?

 

Nous sommes une petite institution, pas un ministère ou une ONG qui aurait pour vocation de „couvrir“ un territoire. Nous avons accueilli des artistes de plus de 90 pays du monde, l’an prochain nous serons présents avec des projets „Solitude“ á Stuttgart, Berlin, Darmstadt et en dehors de l’Allemagne aussi en Pologne, Lituanie, Turquie, République Tchèque, en France, en Afrique du Sud et en Argentine. C’est le fruit du travail du réseau des anciens artistes de Solitude qui rend ces projets possibles.

 

15. Pouvez-vous nous parler de vous?

 

Si vous voulez. Je suis né à Paris en 1951, j’ai fait des études d’allemand à Paris et à Berlin, après mes études j’ai enseigné l’allemand dans la région parisienne et au début des années 80 j’étais directeur de l’institut français de Stuttgart. Depuis 1989 je dirige l’Académie Schloss Solitude que j’ai fondée, une formidable chance professionnelle qui m’a été offerte il y a bientôt 15 ans par le land de Bade-Wurtemberg.

 

16. Est ce que J. B. J. aime l'aventure? Sur quelle forme? Culturelle, existentielle? Les voyages?

 

Bien sûr que j’aime l’aventure, sinon je ne ferais pas ce métier. Vous arrivez le matin dans votre bureau et vous ne savez jamais ce que va être votre journée, dans quel projet imprévu les artistes vont vous entraîner! Depuis plus de 20 ans je ne voyage plus que pour des raisons professionnelles, je refuse de faire du tourisme et de considérer le monde comme un jardin de loisirs pour européens aisés. Grâce aux amis de Solitude j’ai pu faire des conférences, des projets un peu partout dans le monde, et ainsi contribué très modestement á la mise en place d’échanges humains et artistiques plus équitables.

 

17. Comment envisage Solitudese promover et promover ses valeurs, ses membres, ses créations?

 

Mais c’est tout simple, exactement en faisant ce que nous faisons, le travail quotidien avec les artistes, les projets que nous présentons ici et ailleurs, le bouche à oreille. Nous avons une bonne surface médiatique, mais je la considère toujours avec une certaine méfiance. Notre meilleure promotion ce sont les liens d’amitié et de confiance que nous entretenons avec les artistes de Solitude, avec ceux d’aujourd’hui comme avec ceux d’hier.

 

18. L'amour a-t-il joué un rôle important dans la vie de L'Académie - et aussi dans la vie personnelle de Jean Baptiste Joly?

 

Ça alors, je ne m’attendais pas à cette question. L’amour est quelque chose de privé, je peux juste vous dire que c’est une expérience humaine essentielle et que je la connais. Pour ce qui est de ma relation avec l’Académie et ses pensionnaires, nous avons souvent des liens de très grande proximité, mais je n’oublie pas que je remplis une mission de service public et je ne mélange pas vie privée et vie professionnelle.

 

19. Mais la foi? La même question, gravitant maintenant autour de la foi.

 

Je viens d’un pays où la religion et l’état sont séparés depuis longtemps, je suis donc incapable de parler de cette question en tant que directeur de l’académie, puisque c’est dans cette fonction que vous vous adressez à moi. Je peux juste vous dire que je crois à la persistance de l’esprit et à ma responsabilité pédagogique vis à vis de personnes plus jeunes.

 

20. Quel est le rêve secret de L'Académie et de son promoteur, J. B. Joly?

 

Si ce rêve doit rester secret, je dois le garder pour moi, non? Mon rêve public, c’est que cet esprit „Solitude“ que nous avons créé essaime à travers l’Europe, que d’autres institutions qui partagent nos convictions puissent y participer, nous faire part de leur expérience, partager la nôtre.

 

21. Autres projets en Roumanie? Et dans l'Europe de l'Est?

 

Pas de projet en Roumanie pour le moment après Cluj dans un mois. En Europe de l’Est, oui, bien sûr, comme je l’ai expliqué plus haut, et je voudrais conclure en parlant d’un petit programme de résidence d’artistes que nous avons contribué à établir au Centre Culturel Ujazdowski à Varsovie; nous pensons qu’il pourrait servir de modèles pour d’autres institutions en Europe de L’Est, pourquoi pas en Roumanie.

 

A consemné Mihail Gãlãþanu

 

 

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